Interprétateur photo dans l'armée de l'Air

Au sein de l'escadron de reconnaissance 1.33 Belfort de la Base Aérienne 112 Marin-La-Meslée de Reims, un homme sait faire parler les images. C'est le sergent-chef Béthencourt. Sa spécialité : interprète-images. Un métier où se répondent savoir-faire et faire savoir, dans les limites évidentes du secret professionnel. Portrait.

Le sergent-chef Béthencourt est un homme ouvert. Cependant, quand il parle de sa spécialité dans le renseignement, il sait faire la part de ce qui peut être dit et de ce qui relève du secret professionnel. Quelques manies trahissent sa formation il ne laisse jamais traîner au hasard, une photo ou un film. On peut y lire tellement de choses... Mais il n'entretient pas la psychose pour autant : "Nous ne sommes pas des James Bond, mais la discrétion et la sécurité font partie intégrante de notre quotidien". On n'entre pas dans le renseignement par hasard. Alain Béthencourt a été sélectionné. Son travail consiste à analyser les prises de vues effectuées par les appareils de reconnaissance, notamment les Mirage F1 CR (Combat-Reconnaissance). Après dix ans d'exercice, il ne le regrette pas. Les hommes du renseignement sont des gens discrets, des militaires comme les autres, ou presque, car savoir ce que d'autres ne peuvent reconnaître apporte un piment certain au métier, et induit des responsabilités importantes.

La technologie numérique

Il y a un an encore, il travaillait "à l'ancienne". Photos papier, rapports à la main et utilisation manuelle des différents instruments. Mais depuis quelques mois, tout a changé. La technologie numérique a fait son apparition, apportant son lot de bienfaits mais aussi une nécessaire réadaptation des méthodes de travail. Une chose est sûre, le gain en temps et en qualité des informations recueillies s'avère incomparable. Le Système d'Aide à l'Interprétation Multicapteurs (SAIM) a été conçu spécialement pour des interprétateurs d'images. La mise au point des appareils a pris environ cinq années. Le sergent-chef Béthencourt en maîtrise parfaitement le fonctionnement, ayant lui-même participé à l'élaboration du système. Il a malgré tout suivi une formation complémentaire de six mois avant de pouvoir exploiter toutes les ressources qu'offre le SAIM, preuve de la complexité des techniques mises en oeuvre. L'un des atouts du système, est sa compatibilité aux normes actuellement en vigueur dans l'OTAN, ce qui facilitera les protocoles d'échanges d'informations internationaux et son exploitation en OPEX.
"Avant, nous devions déplacer plusieurs tonnes de matériel avec nos cabines sur le terrain. J'ai vu charger jusqu'à sept Transall. Aujourd'hui, la structure en caissons indépendants du SAIM nous offre une plus grande modularité ainsi qu'une meilleure mobilité,mais nous devons toujours emmener les cabines comme structure de soutien " affirme le chef Béthencourt. L'ensemble est synonyme d'efficacité accrue.

Un métier de haute technicité

Hier, il fallait développer les films puis en extraire des tirages avant de les analyser. Aujourd'hui, données infrarouge ou radar sont enregistrées sur des supports numériques et lisibles directement sur les écrans de la machine. En ce qui concerne les films photos, il s'avère toujours nécessaire de les développer : le film est placé sur une table lumineuse, une caméra lit l'image et la transmet à l'ordinateur. Toutes les unités aériennes françaises, la Marine nationale et les principaux états-majors ont d'ores et déjà adopté le SAIM. L'armée de Terre devrait bientôt s'en équiper.
Des souvenirs? Il aurait de quoi en écrire toute une saga. Sur Strasbourg tout d'abord, pour sa première affectation à la Base aérienne 124, car il y a vraiment découvert son métier, "il a fallu apprendre à reconnaître tout le matériel militaire français et étranger, qu'il soit clairement identifiable, partiellement visible ou simplement à partir de son ombre portée sur le sol et repérée grâce au détecteur infrarouge". Bien sûr, un catalogue constamment remis à jour lui vient en aide pour confirmer ses analyses. Mais ses connaissances ne se limitent pas à la seule identification de matériel militaire "A la longue, on finit par bien connaître la conception des objectifs les plus classiques. Pour une centrale électrique, par exemple, on doit être capable de repérer ses principaux organes, de faire une première analyse de son mode de fonctionnement ...

Le baptême du feu

Sa première OPEX, en Arabie Saoudite à la fin de janvier 1991, pendant la guerre du Golfe, lui a laissé un souvenir impérissable "J'avais à peine posé le pied sur le sol saoudien qu'une sirène a retenti. C'était une alerte Scud!". Le sergent-chef Béthencourt était basé à Al Ahsa, un aéroport civil désaffecté, près de Riyad. Ses séjours cumulés ont duré six mois. "Nous travaillions au profit de l'état-major français à Riyad. Notre mission consistait à fournir des renseignements sur l'ennemi à partir des reconnaissances radar, pour préparer l'intervention de l'unité terrestre de l'opération Daguet. Nous étions dix à faire du renseignement, au sein des 150 hommes de la 33e escadre de reconnaissance et parmi les 750 militaires (tous Français) que comptait la base. Nous étions constamment sous la menace d'une attaque irakienne, c'est pourquoi nous portions toujours nos tenues S3P (Survêtement de Protection à Port Permanent). Notre groupe était extrêmement soudé car, sur le terrain, nous étions à la portée de l'ennemi. "

Que ce soit sur le terrain ou en escadron en effet, le métier d'interprétateur s'inscrit avant tout dans un travail d'équipe. Chaque mission est d'abord soigneusement préparée en liaison avec l'officier renseignement de l'escadron et avec le pilote qui va effectuer la mission. Une fois l'objectif traité, le débriefing, "à chaud", permet d'effectuer une première analyse qui permettra d'alimenter la chaîne renseignement dans la boucle des opérations aériennes.

Ainsi, Alain Béthencourt est un maillon essentiel de la chaîne opérationnelle au sein de son escadron. L'expérience lui a permis d'affiner son coup d'oeil, mais n'a en rien entamé son enthousiasme : il exerce toujours son métier avec la même passion.