Pilote de reco

Passer sur l'objectif à l'heure et au cap prévus, voir, filmer et rapporter le renseignement

Sur le parking de l'ER 1/33, deux Mirage F1 CR sont de retour de mission. Le sifflement de leur moteur Atar 9K50 vient de s'arrêter. Alors que les pilotes se débrêlent, les photographes ont déjà ouvert les trappes caméra et retiré les magasins des Omera 40. Direction le labo pour un développement express. Le temps est effectivement compté 45 mn après la coupure réacteur, le message RECCEXREP devra partir vers le centre d'opérations (CO) avec le debriefing précis des renseignements recueillis. Même en exercice, il faut jouer le jeu. Après être passés en piste pour signer la doc technique, les pilotes se rendent donc au plotting'. L'essentiel des informations ayant déjà été fourni par radio vingt minutes avant l'atterrissage, l'OR (officier renseignement) leur demande de confirmer les heures de passage sur les objectifs. Sur les cartes au 1/50 000, on relève les coordonnées précises des croix tracées en vol, au crayon. L'œil reste toujours le capteur principal en reco TBA. Les clichés permettront de confirmer l'identification précise des matériels repérés. Tout juste secs, les films noir et blanc (afin de raccourcir les délais de développement, puis de tirage ) sont visionnés sur les tables lumineuses. Chaque cliché panoramique (d'horizon à horizon), au format 25 x 6 cm, porte en marge les données incrustées automatiquement par le SNA de l'avion (heure, cap, hauteur, coordonnées, roulis et tangage). Les pilotes ont limité les prises de vues au strict minimum (toujours dans le souci de réduire le temps de développement quatre clichés tests au sol, les photos des objectifs et huit vues de sécurité lors du retour, voilées systématiquement à l'ouverture du magasin). Penchés sur les films, OR et IP (interprétateurs photo) confirment rapidement les infos des pilotes et choisissent les clichés à tirer sur papier ou à numériser. Les consoles SAIM (Système d'aide à l'interprétation multicapteurs) sont de précieux outils pour standardiser/numériser/transmettre tous les types d'infos (photo, vidéo optique ou infrarouge, cartographie radar). En quelques minutes, le CO sera donc en mesure d'assigner les objectifs à attaquer et de diffuser directement les clichés aux autres unités de combat.

PIM sur F1CR

Naviguer afin de passer sur l'objectif à l'heure et au cap prévus, voir, filmer et rapporter le renseignement, le succès de cet enchaînement concrétise plusieurs années d'entraînement intense au sol comme en vol. Pour le jeune pilote à l'instruction (PIM), qui sort de sa transfo sur F1 B, le vol sur monoplace marque l'aboutissement de trois ans de formation en école et le début d'une nouvelle progression (quatre années minimum pour devenir chef de patrouille). Car maîtriser une monture de 15 tonnes, lancée à 900 km/h à 150 mètres d'altitude et consommant jusqu'à 260 litres/mn PC enclenchée, ce n'est pas rien ! Tenir sa place en patrouille, gérer la "survie " de l'avion, à savoir le faire voler quoi qu'il arrive, respecter les paramètres de vol autorisés, utiliser la radio sans flanquer le binz sur les ondes, autant dire que les premières sorties vont nécessiter beaucoup de travail. La voltige et le vol aux instruments dans l'espace aérien contrôlé de l'aérodrome sont les premières missions que le PIM réalise seul. La voltige classique, les barriques serrées et autres manœuvres nez haut à faible badin ont pour but de lui faire découvrir les particularités du F1, parfois au prix de quelques gamelles " instructives " mais peu glorieuses. En manœuvre de combat subsonique, il faut avant tout travailler en évolutions obliques. Deux corner speed (vitesses optimales), 295 Kt avec les volets de combat sortis ou 450 Kt sur un cercle plus large, ornent les meilleurs taux de virage. Le nez est plus lourd qu'en Alpha Jet et, au-dessus de 12" d'incidence, rien ne sert de souquer à fond sur le manche en ressource ça vibre (avec au-delà de 17" le " tititit " de l'avertisseur d'incidence) et l'appareil s'enfonce irrémédiablement. Dès le début, le jeune pilote apprend ainsi à sentir son incidence " aux fesses " pour gérer l'énergie et garder un avion pilotable. Un atout fondamental en combat, mais qui sert également en basse altitude, notamment en cabré-piqué avec bombes ou lorsqu'il faut exécuter une oreille afin de se représenter pour une passe photo. Enfin, avec sa voilure haute et ses spoilers (destructeurs de portance)' le Mirage F1 apprécie modérément les virages en ressource. Il vaut alors mieux dégauchir ailes à plat et reprendre de l'énergie avant d'incliner. A l'atterrissage, en particulier avec un avion lourd équipé de bidons ou disposant encore d'une quantité de pétrole importante, il faut surveiller attentivement la vitesse. Si elle chute, l'incidence croît rapidement et le pilote, pour compenser doit afficher une grosse augmentation de régime, voire pousser sur le manche, sans se poser cependant trop vite car les 2 400 mètres sont vite avalés. Le F1 étant sensible au vent de travers, surtout avec un réservoir ventral, il est parfois nécessaire de rentrer les volets une fois posé, pour alourdir l'aile et tenir l'axe. Et pour ne pas déclencher l'un des DAD (détecteurs d'atterrissage dur) présents sur les jambes de train, mieux vaut éviter de toucher sur une seule roue. Le PIM enchaîne ensuite très vite par la navigation TBA, essence même de son métier. La progression reco comporte un important travail au sol. Il lui faut maîtriser parfaitement l'emploi normal ou dégradé du SNA et des capteurs, condition essentielle pour rapporter des photos malgré tout. Assisté par les OR, il doit apprendre à reconnaître rapidement sites fixes (ponts, barrages, radar, dépôts), puis aéronefs, véhicules blindés, SAM et engins spécialisés existant de par le monde. En se plongeant dans la lecture de catalogues et en visionnant quelques centaines de diapos, il ne tardera pas à devenir un expert en identification et se sentira à la hauteur dans la communauté reco. Comme toute mission tactique, une sortie reco nécessite une bonne préparation pour être couronnée de succès. Auparavant, la centrale inertielle permettait d'arriver à moins d'un nautique du point initial. Ce qui n'était parfois pas suffisant, à 100 mètres près, pour dénicher un objectif. Aujourd'hui, l'intégration récente du GPS procure une plus grande précision (et moins de fatigue). Passé l'initial, il faut ensuite bétonner son cap et utiliser de bons repères. Chaque passage dépend de l'objectif (catégorie, taille, relief, soleil) et du capteur employé. Le run tracé sur la carte au 1/50 000 amène le pilote au point exact de déclenchement des capteurs, qui est souvent travers l'objectif. Parfois, il devra monter pour couvrir tout l'objectif, puis redescendre pour dégager.

Reco de nuit

Rapidement, le pilote est aussi formé à la pénétration tout temps en avion isolé (AST). Un stage au CITAC, à Luxeuil, lui offre de voler en place droite du Mystère 20 SNA n° 451, doté d'un cockpit et d'un radar de F1CR. A 300 Kt, il se familiarise avec les procédures d'utilisation des itinéraires réservés du réseau TBA défense. La pénétration de nuit ou en IMC permet d'assurer la reco verticale d'un objectif avec le capteur infrarouge Super Cyclope. Les vols dans le " tuyau " sont les seuls qui éloignent le PIM en solo de sa base. Ils le responsabilisent énormément. Installé dans une trappe sous le fuselage (incompatible avec l'emport de toute poutre ventrale) et refroidi à -193 °C, le Super Cyclope affiche une finesse de détection remarquable de 0,15 °C, mais reste exclusivement un capteur TBA (moins de 1500 ft). " En basse altitude de jour confie un pilote, nous employons avant tout la caméra panoramique Omera 40, utilisable jusqu'à 200 ft et 600 Kt à une cadence de 10 images/seconde ! Pour les mappings (cartographies verticales réalisées à moyenne altitude entre 5 000 et 20 000 ft), on a recours à l'Omera 33 avec une optique de 150 mm. Pour assurer l’alignement il faut alors s'axer de loin en légère descente sur un repère au sol. En balançant alternativement le nez du Mirage à gauche et à droite, on arrive à savoir si on est bien centré. Puis, on stabilise en palier pour les photos. Cependant, à 5 000 ou 10 000 ft, comme lors des missions conduites en ex-Yougoslavie, pas question d'identifier ainsi un véhicule militaire. Les F1CR utilisent donc un unique bidon photo RP35P doté de deux caméras fixes OM33, l'une verticale, l'autre oblique, avec des focales de 600 mm. Les clichés verticaux couvrant une largeur de 300 mètres, il faut impérativement se servir du GPS pour s'axer à 100 m près. La visée latérale, elle, s'effectue grâce à un œilleton rabattable le long de la verrière, comme sur le Mirage III R.

En Line Search

Lorsqu'il a acquis davantage d'expérience, le jeune PIM s'essaie à l'exercice le plus délicat qui puisse exister dans la reco, " la line search " ou reco sur itinéraire, Il s'agit d'explorer au mieux une section de route, de voie ferrée ou de rivière pour y détecter une activité militaire. Suivant la sinuosité du tracé, il doit privilégier les portions d'itinéraire essentielles de manière à déterminer une trajectoire compatible avec la vitesse de survol requise. D'ailleurs, en " line search ", le pilote inexpérimenté finit souvent soit perdu bien loin de la route à traiter (d'en haut, on en voit souvent plusieurs), soit avec un badin inférieur à 400 Kt pour avoir trop dégradé sa vitesse en enchaînant les virages. Le rôle du leader qui le suit est alors primordial pour lui commander de mettre des gaz, voire lui ordonner de dégauchir et d'arrêter l'exercice. Lorsqu'il maîtrise bien cette phase de vol, le PIM est généralement mûr pour passer PCO (pilote de combat opérationnel).

Stand off tout temps

Véritable capteur tout temps, la nacelle SLAR Raphael TH permet d'effectuer des cartographies radar latérales tout an restant à distance de sécurité. Une bande de 40 km de large, parallèle à ta route avion, peut être explorée jusqu'à 100 km sur le côté. Ces fauchées SLAR latérales sont réalisées en altitude, entièrement sous pilote automatique. Tout mouvement brusque en roulis génère en effet, un dédoublement d'image. Sur F1CR, le vol en configuration SLAR de guerre est l'un des plus délicats à maîtriser. Déjà, au décollage, l'avion est particulièrement peu manœuvrant. Ensuite, la position ventrale du pod et son entrée d'air provoquent, à chaque action au gauchissement de forts dérapages induits et même des refus à virer. En ravitaillement, le pilote finit souvent pleins gaz, surtout en virage, et lutte au palonnier contre le dérapage jusqu'à finir presque " traîné " par le tuyau tendu, à la limite de la déconnexion. Un véritable sport. Initialement conçu pour détecter une montée an puissance le long du Rideau de fer, au temps de la guerre froide, le SLAR était à l'époque mis en œuvre par le seul ER 1/33 dont les pilotes réalisaient de longues missions solitaires au-dessus de la RFA. Puis, durant la guerre du Golfe, le pod a fait la preuve de son efficacité optimale sur les terrains désertiques. Les vols d'entraînement en France sont devenus extrêmement rares, les pilotes acquérant désormais une grande expérience à travers les opérations extérieures où les missions sont plutôt réalisées à deux avions pour doubler les fauchées et pallier une éventuelle panne de nacelle. Enfin, depuis octobre 1994, les escadrons français de reco disposent du meilleur pod Elint au monde pour vecteur rapide. Conçu par Thomson, l'Astac permet, grâce à ses antennes frontales et latérales, de localiser une vaste gamme d'émissions électromagnétiques (radar de veille, SAM, bateaux...). Une fois les zones d'écoute programmées au sol sous forme de quadrilatères, la procédure de recueil est super simple. Lorsque l'avion les survole, la nacelle enregistre même s'il ne suit pas le trajet prévu. Mieux, pour augmenter la couverture Elint du théâtre, l'Astac peut être utilisé au cours d'une sortie de reco optique sans pénaliser la prise de vues. Deux concepts d'emploi existent en mission Elint soit en TBA/TGV, au plus près des forces ennemies afin de déclencher l'activation des SAM, soit en altitude, notamment pour une détection longue distance des radars de veille.

Une préparation informatisée

Toutes les missions sont préparées sur les consoles informatiques Cinna 3 qui, outre les configurations avion et les paramètres de vol, intègrent les divers capteurs ou armements, le timing et la consommation. Un MIP (module d'insertion de paramètres) permet ensuite de transférer toutes ces données dans l'ordinateur de bord du F1CR. Au fil des évolutions des standards de l'appareil, de nouveaux équipements ont progressivement fait leur apparition comme le Flir ou la nacelle Presto. Pour chaque capteur, à l'exception du RP35P, il existe un mode tout automatique programmé lors de la préparation et un mode "opportunité" pour traiter en manuel un objectif imprévu. Grâce aux cartes numérisées sur Cinna, préparer une navigation simple ne prend qu'une quinzaine de minutes. Pour des missions complexes, comme les runs SLAR, c'est en revanche un peu plus long.

Moins performant qu'un Mirage 2000N ou D, le Mirage F1 CR est parfaitement adapté à la reconnaissance tactique, en BA comme en MA. Après dix-sept années passées sur cet appareil, les deux escadrons de Reims restent des unités très appréciées au sein de l'Otan pour leur haut savoir-faire. Car au retour de chaque vol, rien ne sert de discuter, seul le résultat compte le cliché est dans la boîte... ou pas.

Eric DESPLACES et Philippe ROMAN - AIR FAN