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LA RECO EN INDOCHINE

La première unité de reconnaissance en Indochine fut l'Escadrille de reconnaissance OM 80, crée en 1949 sur SIEBEL (NC 701, MARTINET). Ces bi-moteurs peu performants et dont les moteurs étaient peu fiables, furent reversés aux E.L.A. quand arrivèrent les Bearcat et les RB-26C.

Les unités

Il y avait alors deux unités de Reconnaissance en Indochine :

En outre, le chef du 2e bureau et l'officier P.R. du GATAC-Sud disposaient de deux Bearcat entretenus par le G.C 2/21 (Saigon - Ton Son Nut). Les Escadrilles de Liaison Aérienne faisaient parfois des missions photos.

Les appareils

Le Bearcat de Reconnaissance était un modèle de chasse auquel les Français ont d'abord ajouté un bidon ventral équipé de trois caméras (verticale, oblique gauche, nasale) avant d'installer une caméra dans le fuselage à hauteur de la cocarde, verticale ou oblique gauche, au choix. Le bidon était alors conservé pour les missions photos nasales. Le Bearcat était un avion très puissant, très maniable, mais très chaud et " sale ". Son autonomie était limitée à deux heures (à 220 kts).

Le RB-26C de Reconnaissance avait été aménagé par l'U.S.A.F pour la Corée. Il n'emportait pas de bombe mais un réservoir de convoyage installé en permanence dans la soute et des caméras réparties entre le nez vitré et le poste de radionavigant à l'arrière. Les mitrailleuses de 12,7 mm du bombardier avaient été enlevées (tourelle arrière et ailes). L'Invader était un avion raisonnablement puissant et maniable. Son autonomie pouvait atteindre six heures (à 220 kts). Le poste du pilote était " confortable ".

Ces deux avions de Reconnaissance étaient équipés de leurs circuits d'oxygène, contrairement aux bombardiers et, je crois, aux chasseurs.

Les missions

En Indochine on pouvait distinguer deux principaux types de missions de Reconnaissance :

Les missions photo

En ce qui concerne les missions photos, l'interprétation (parfois fort longue par manque d'interprétateur) se faisait au niveau des GATAC et on n'était pas tenu au courant des résultats, sauf à avoir à repréciser une zone ou un point particulier. Je n'ai jamais su, directement ou indirectement, ce qu'il avait été retiré des mappings réalisés en RB-26 C entre 5 000 et 10 000 pieds où l'on ne pouvait pas voir grand-chose mais où on était hors de portée de la D.C.A, sauf quand apparaîtront les 37 mm (voire même 45 mm, c'était la Chine qui fournissait) sur Dien Bien Phu. Peu avant le premier assaut Viet (nocturne), j'ai fait une couverture " en couleur " de la cuvette. Les strips se faisaient à 500 pieds au moins, mais on était accaparé par le pilotage. J'ai aperçu une fois, de face, une 12,7 en train de m'arroser au cours d'un strip nasal, mais j'ai pu l'éviter facilement car elle s'était dévoilée trop tôt (humidité, graissage, fumée). Les photos d'opportunité au cours des missions de Reconnaissance à vue risquaient d'être filées compte tenu des médiocres performances des caméras de l'époque (U.S K17...) en regard des éléments de vol de l'avion à basse altitude. Quand il s'agissait d'un pin point (un bac par exemple) on montait au moins à 500 pieds en espérant que la D.C.A. était en vacances. A la fin, on a utilisé des films infrarouges mais ils n'étaient pas plus au point que les laboratoires photos. C'est sûrement très dommage car tout Viet qu'ils étaient, les camions dégageaient de la chaleur, même très bien camouflés. Une mission de couverture photo originale a été faite par six Bearcat de l'E.R.O.M. 80 en patrouille de combat. Cela permit de ne faire qu'un seul passage sur ce que l'on soupçonnait être un gîte d'étape de la Division lourde 308. Elle était bien là, avec sa D.C.A. comme l'ont constaté à leurs dépens les chasseurs qui sont intervenus le surlendemain.

Avant de parler de mission de Reconnaissance à vue, il faut mentionner les trop nombreuses missions confiées aux Bearcat alors qu'elles relevaient plutôt des Morane 500 (Fieseler-storch - avion d'observation d'artillerie). Ce fut un gâchis d'employer un avion de Reconnaissance pour régler les tirs d'une batterie de canons de 120 mm (Long Tom - portée 25 km) qui prétendait couper la route Viet de contournement nord du Delta. Les Viets ont d'ailleurs tout simplement dévié l'itinéraire.

Les missions de Reconnaissance à vue

Les missions de Reconnaissance à vue, qui comportaient souvent des points précis à photographier, étaient confiées aux Bearcat (cela n'empêchait pas les RB 26C d'en faire parfois). Ces vols se faisaient au tout début en patrouille (règlement d'emploi de la Reconnaissance oblige) puis en solo pour augmenter le rendement et enfin, après mai 54, en patrouille à nouveau à cause de la D.C.A qui devenait redoutable (cela a permis de sauver deux pilotes qui sans cela auraient été portés non rentrés de mission). La plupart du temps il s'agissait d'un itinéraire à base de routes et de pistes. L'officier de renseignement de la base (l'O.R. relevait du 2ème Bureau du CATAC) fournissait un dépliant au 1/200.000e dont l'itinéraire était le centre et il conseillait de faire de temps à autre des crochets souvent payants. Les emplacements (connus) de la D.C.A et les points particuliers à surveiller étaient précisés. Il s'agissait par exemple de coupure, de franchissement de rivière (radier, bac), de carrefour, de dépôt, d'emplacement d'unité (la Division 306 était repérable par les chevaux que son E.M. utilisait). Les Viets fréquentaient peu les routes de jour. Seuls des urgences, des retardataires, des courriers, des estafettes pouvaient y être vus. Le pilote choisissait son altitude, en général" en radada " sauf quand il était obligé de naviguer dans un secteur nouveau pour lui (beaucoup d'itinéraires finissaient par être mémorisés). En fait, on voyait surtout des traces de passage mal effacées ou ineffaçables qui constituaient quand même des indices importants. Quand les Viets ont mis la route qui aboutissait à Dien-Bien-Phu au gabarit poids lourds, ce n'était pas pour y aller à la pêche. On voyait alors sur les découverts des centaines de coolies au travail. Inutile de mitrailler les pauvres bougres, leurs remplaçants étaient sûrement en attente à quelques dizaines de mètres.

Dans le secteur de Dien-Bien-Phu, on ne voyait rien sauf des traces de véhicules qui descendaient la nuit le flanc d'une colline que les bombardiers mettaient en bas tous les soirs (avec aussi quelques bombes à retardement!). Ces traces s'interrompaient brusquement sans que l'on puisse savoir où les véhicules étaient allés (passage en spirale, photo). Il nous manquait des moyens infrarouges. On faisait surtout du contrôle de bombardement et de l'interdiction de jour.

En Indochine, les vols en I.M.C. et les vols de nuits étaient souvent "délicats" du fait du relief et de la faiblesse des moyens de radionavigation. Il y avait, au mieux par terrain important, une balise MF et un gonio VHF, mais pas de radar. Je ne sais pas comment faisaient les transporteurs toujours sollicités partout. Les bombardiers intervenaient de nuit mais en altitude et " au cap et à la montre ". Quant au Bearcat, ses instruments de bord étaient peu fiables. Son éclairage cabine était mal fichu et il n'y avait pas de récepteur radiocompas. Cela n'empêchera pas les chasseurs d'intervenir quelques fois la nuit! La Reconnaissance de nuit était infaisable et la nuit appartenait aux Viets.

Les pertes

L'E.R.O.M. 80 a payé son écot à la guerre d'Indochine. Pour trente-cinq pilotes affectés sur Bearcat en opération (de juillet 51 à août 54), trois ne sont pas rentrés de mission du fait de la D.C.A. ; un s'est tué en essayant de poser un avion trop abîmé ; trois ont dû abandonner leur avion touché ; un s'est crashé (blessé grave) ; un a réussi à ramener son avion au terrain, presque exsangue ; un s'est posé en urgence sur une piste de secours, son réservoir d'huile ayant été percé par une 12,7 ; trois se sont crashés par suite d'une défaillance de moteur ; un s'est tué en crashant en vue du terrain son avion dont le moteur s'était arrêté. Faut-il mentionner les cent cinq retours à la base avec des trous un peu partout, et trois passages dos sur le terrain avec un seul blessé grave. Un grand merci et un grand bravo aux hélicos qui ont réussi à ramener, non sans mal, les quatre qui se sont retrouvés en zone ennemie.

L'E.R.P. 2/19 a eu plus de chance du fait de la nature de ses missions en RB-26C et du calme relatif de sa zone d'action pour les Bearcat. Un RB26C a disparu en I.M.C. au-dessus de la mer.

Deux sont rentrés sur un moteur, l'autre ayant été touché par la D.C.A. à basse altitude ; deux avions ont été perforés par du petit calibre ; un autre par un obus de 37 mm. Un dernier s'est crashé à la suite d'un conflit en finale I.M.C. avec un C-119.

La Reco en Indo était plutôt misérable, mais plus de moyens n'auraient sans doute servi à rien. Les Viets montaient en puissance plus vite que nous (les Américains ont pu le constater). Cependant, bien que cette guerre ait été une vaste c... on est tous fiers d'avoir " fait l'Indo ".


Article extrait de la revue des anciens élèves de l'École de l'air, reproduit ici avec l'autorisation de l'auteur.